Lors de ce travail qualitatif mené auprès d’un échantillon de 16 entreprises, les auteurs ont tout d’abord cherché à savoir si les renégociations avaient abouti à une augmentation significative du temps de travail ?

Il est à cet égard important de ne pas considérer le seul volume horaire annuel de travail mais de prendre également en considération le nombre annuel de jours travaillés. Leurs évolutions quantitatives ne sont pas du tout perçues de la même manière par les salariés, sur le plan des conditions de travail et de vie. Ainsi une remise en question des jours RTT avec une réduction parallèle de la durée hebdomadaire du travail peut-elle être mal vécue, alors même que la référence horaire annuelle est inchangée.

Il est également important de distinguer la majorité des ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise concernés par l’architecture collective générale de l’accord, des cadres qui ont très souvent fait l’objet de mesures spécifiques (essentiellement du développement des forfaits en heures ou en jours).

En effet, un des résultats les plus incontestables de l’étude concerne la population des cadres et l’ampleur des évolutions quantitatives de leur RTT.

Dans les accords initiaux, les entreprises ont souvent voulu les traiter en tant que salariés « comme les autres », et leur appliquer les mêmes principes de RTT. Même si la définition des forfaits jours les distinguait, l’ampleur de la RTT était proportionnellement analogue à celle des autres salariés. Aujourd’hui, elles tendent à considérer que leurs cadres relèvent légitimement d’une approche distincte au regard du temps de travail (du fait de leurs responsabilités, de leurs contraintes d’activité, de la continuité de management à assurer, ..). D’où une tendance marquée à introduire ou étendre le forfait en jours à davantage de cadres avec une convergence vers les 218 jours maximum par an, tendance facilitée par l’assouplissement des textes relatifs à l’usage des forfaits.

Ceci posé, on constate finalement qu’une grande partie des entreprises de l’échantillon (douze sur seize) ont, sous une forme ou sous une autre, pour tout ou partie du personnel, « orienté à la hausse » leur durée du travail.
Cette remise en question apparaît rarement « frontale », dans la mesure ou, selon les cas :

  • elle s’accompagne d’un ensemble de mesures d’aménagement du temps qui peuvent répondre à certaines attentes des salariés (compte épargne temps, introduction de souplesses dans la gestion des repos, ..) ;
  • elle est parfois tempérée par la possibilité, par choix individuel, de rester sur les dispositions de l’accord initial ;
  • l’augmentation du temps de travail est associée à une augmentation de rémunération à peu près proportionnelle.

L’analyse des motivations et des autres thèmes de la renégociation a mis au jour des interactions fortes entre les motivations d’ordre économique d’une part, et les motivations organisationnelles et juridiques d’autre part. Ceci relativise l’hypothèse du primat des contraintes économiques comme facteur de renégociation même si elles sont naturellement présentes, et d’autant plus fortement que l’entreprise se situe dans un contexte concurrentiel fortement axé sur les prix.

Le second résultat intéressant est de constater par contre l’absence du thème de l’emploi dans les renégociations.

L’impression dominante, sur le plan organisationnel, est que l’objectif majeur des renégociations a été en premier lieu de corriger les effets négatifs des dysfonctionnements issus, d’une part de la dissociation entre les temps collectifs et les temps individuels, et d’autre part de la gestion de la flexibilité.

On a donc cherché à limiter la diversité des organisations du temps au sein de l’entreprise et diminuer la complexité de gestion de la flexibilité (gestion des compteurs d’heures, programmation des périodes fortes et faibles, etc) jusqu’à renoncer à des outils tels que la modulation ou les jours RTT fixés par l’employeur. Les entreprises ont souvent préféré revenir aux leviers plus classiques qu’elles pratiquent depuis longtemps : CDD, intérim ou heures supplémentaires.

Quant aux motivations d’ordre juridique, leur poids s’est révélé plus fort que ce qu’imaginaient a priori les auteurs.
Au-delà des obligations liées à des échéances d’accord de RTT à durée déterminée (Robien ou Aubry1), la préoccupation majeure a été ce qu’on qualifie généralement de sécurisation juridique et qui renvoie à deux grands facteurs :

  • le souci de se mettre aux normes par rapport à l’évolution des textes de loi ou des conventions collectives ;
  • la prévention des risques liés à des actions juridiques engagées par des salariés, souvent des cadres.

En fait, tant par la simplification de l’organisation du temps que par la mise en Renégocier la R.T.T. de nouvelles modalités juridiques (notamment les forfaits), les entreprises tentent de réduire l’écart, souvent important, qui existait entre les principes de l’accord initial et la réalité des pratiques de gestion du temps.

L’absence de l’emploi dans les logiques de renégociation analysées est d’autant plus frappante que ce thème avait été au coeur de la problématique des lois Robien et Aubry1, avec l’appui des allégements de charges sociales. La thématique de l’emploi a disparu en même temps que les contraintes posées par les mécanismes d’aide. Il est par ailleurs très difficile pour l’instant d’apprécier dans quelle mesure les renégociations ont eu un effet indirect sur l’emploi.

Enfin l’impact du thème de la renégociation de la RTT, sur le dialogue social dans les entreprises reste un sujet délicat, pour deux grands types de raisons.

Tout d’abord, la renégociation doit affronter la complexité et la multiplicité des enjeux à la fois économiques, organisationnels et sociaux. Mais la RTT est également un sujet très sensible d’un point de vue symbolique, tant sa renégociation peut aisément donner prise à des accusations de remise en question d’un acquis social, ce qui explique la prudence manifestée sur ce sujet par les directions.