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Les relations professionnelles dans les pays d'Europe centrale et Orientale au tournant de l'entrée dans l'Union européenne

Ce travail vise à fournir, à partir de la littérature disponible quelques éléments de compréhension des évolutions générales des relations professionnelles dans les pays d’Europe centrale et orientale.

L’élargissement de l’Union Européenne à dix nouveaux Etats-membres fait rentrer dans le jeu des relations professionnelles huit nouveaux acteurs, marqués par l’expérience communiste, malgré une refonte de leurs institutions conforme à l’acquis  communautaire. Nous proposons ici les résultats d’une analyse de la littérature sociologique récente, constituée essentiellement
de travaux anglo-saxons, et allemands, publiés de la fin des années quatre-vingt-dix au début des années 2000, et consacrée aux remaniements à l’œuvre dans ces pays, dans le domaine des relations professionnelles. Ce travail vise à fournir, à partir de la littérature disponible sociologique, de science politique ou rattachée à la discipline des Industrial relations, quelques éléments de compréhension des évolutions générales des relations professionnelles dans les pays d’Europe centrale et orientale. Il n’entend pas bâtir une revue systématique des systèmes institutionnels mis en place dans les différents pays. Ont été retenues principalement
des publications à caractère synthétique ou tirant des analyses de portée générale à partir de travaux monographiques.

Si l’on excepte le cas particulier de la Slovénie, et malgré de fortes spécificités nationales, historiques et institutionnelles que ce survey n’a pas pour objectif de passer en revue, partout les partenaires sociaux semblent en position de faiblesse et peu en mesure de peser efficacement sur les évolutions socio-économiques. Du côté syndical, on pourrait parler d’un déficit de légitimité substantielle, les organisations syndicales, prolongement des anciennes ou nouvelles, peinant à trouver leur public et leur légitimité. Du côté patronal, le déficit paraît plutôt d’ordre procédural : l’hétérogénéité du tissu entrepreneurial et l’absence de tradition
d’organisation compliquent l’émergence d’organisations patronales investies de mandats sociaux.

Les grandes lignes d’interprétation de la faiblesse du mouvement syndical dans les pays d’Europe centrale et orientale renvoient, d’une part, à ce que de nombreux auteurs appellent « l’héritage communiste » (ou communist legacy), et d’autre part, à une absence de ressources organisationnelles des organisations syndicales. Au-delà d’une forte diversité entre les pays d’Europe centrale et orientale où cependant on note presque partout une forte fragmentation syndicale, de nombreux auteurs notent une prégnance d’influences ou de traditions en matière de relations entre partenaires sociaux et entre partenaires sociaux et États, renvoyant à la
période communiste, et qui peut être décelée dans tous les pays, transcendant leur diversité.  Certains travaux notent toutefois que le soutien aux organisations syndicales est encore avéré en dépit du peu d’illusion sur l’efficacité de l’action syndicale, et qu’on ne peut donc pas conclure à la thèse d’une apathie et d’un désintérêt généralisés des travailleurs des anciens pays communistes à l’égard du mouvement syndical, en lien avec une même expérience communiste antérieure. Il resterait dans ces pays une capacité de résistance mais celle-ci serait mal repérée. Le problème essentiel serait plutôt le manque de capacité stratégique des syndicats.

Cette faiblesse des acteurs explique une grande partie de la fragilité des cadres institutionnels de la régulation des relations professionnelles dans les nouveaux pays européens, au niveaux central, sectoriel et de l’entreprise. Chacun de ces niveaux souffre de faiblesses spécifiques mais c’est sans doute au niveau sectoriel que les différences avec les pays d’Europe occidentale sont les plus marquées. Les nouveaux cadres de régulation mis en place apparaissent encore fragiles. Ces constats conduisent Ghellab et Vaughan-Whitehead (2003) à qualifier d’ « ambigu » le rôle de l’État dans son soutien à la négociation collective sectorielle, mais l’analyse pourrait être aisément transposée à d’autres domaines des relations professionnelles. Dans la pratique, la concertation au niveau central semble peu productive, la couverture conventionnelle de branche faible, et le dialogue social au niveau de  l’entreprise inégalement développé. La consultation et l’information des travailleurs sont limitées du fait de la désertification syndicale, par construction, et du fait même de la limitation du modèle du double canal (représentation syndicale et des conseils d’entreprise) à la Hongrie et la Slovénie.

Face à cette fragilité intrinsèque des systèmes de relations professionnelles, les leviers extérieurs que pourraient constituer l’ingénierie européenne du dialogue social européen, les comités d’entreprise européens ou les entreprises ouest-européennes s’implantant dans les pays d’Europe centrale et orientale suffiront-ils à créer une dynamique de convergence ? Les travaux recensés permettent d’en douter. Les entreprises s’implantant à l’Est, au mieux, hybrident certains éléments du dialogue social à l’européenne tout en profitant des souplesses institutionnelles et juridiques du pays d’accueil, et au pire, s’en affranchissent autant qu’elles le peuvent. Les comités d’entreprise européens s’ouvrent progressivement aux représentants des établissements d’Europe centrale et orientale, accentuant certaines des difficultés de fonctionnement déjà repérées au sein de l’Europe des 15, mais permettent aussi parfois des réaménagements d’influences ou de pouvoirs entre siège et établissements, ou de manière plus
surprenante, entre représentants des salariés dans ces nouveaux établissements et leur management. Quant aux instruments du dialogue social européen, qu’il s’agisse des nombreuses instances de gouvernance auxquelles les partenaires sociaux sont associés, ou des structures de coopération transnationale créées dans la sphère syndicale, ils apparaissent plutôt fragilisés que renforcés par l’entrée des nouveaux Etats-membres, du fait principalement du défaut de structuration du niveau sectoriel des relations professionnelles.