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La mixité professionnelle : les conditions d'un développement durable

L’étude a été réalisée sur la base d’une enquête menée dans une dizaine d’entreprises alsaciennes, en majorité industrielles, qui avaient déjà été observées à deux ou trois reprises depuis 1990 par l’équipe du centre associé au Céreq de Strasbourg.

L’objet de cette recherche était d’analyser sur la durée le processus de développement de la mixité professionnelle dans des entreprises où une politique explicite d’introduction de femmes sur des métiers traditionnellement perçus comme masculins a été menée depuis plusieurs années. Son but était de mettre en évidence les éléments les plus déterminants ayant favorisé l’accès de femmes à ces emplois, les raisons qui ont permis leur maintien ou au contraire leur sortie de ces emplois, afin d’identifier les conditions de développement de la mixité professionnelle et les obstacles qui contrecarrent une telle évolution à plus long terme.

Cette étude a été conçue dans une logique de continuité forte avec les travaux menés précédemment. Continuité théorique d’abord puisque l’on utilise tout au long de ce rapport le concept de mixité professionnelle entendu comme une forme de répartition du travail entre les hommes et les femmes, qui peut prendre des formes diverses d’une entreprise à l’autre, d’un domaine d’activité à l’autre, mais aussi à l’intérieur d’une même entreprise Continuité méthodologique également, puisque a été privilégiée, comme dans les travaux précédents, l’enquête de terrain, en reprenant qui plus est le même échantillon d’entreprises.

Une première partie présente le cadre d’analyse ainsi que l’enquête en entreprises. Il s’agit pour l’essentiel de PME occupant de 100 à 300 personnes, à l’exception de deux entreprises de grande taille qui comptent 2000 salariés. Une cinquantaine d’entretiens approfondis ont été menés avec des représentants de la direction des entreprises, et avec des salariées concernées (opératrices et maîtrise). Un constat initial fait apparaître la progression quantitative, modeste mais effective, des femmes dans les emplois masculins, ce qui constitue un premier indicateur d’une certaine installation de ces salariées dans ce type d’emplois. On observe cette évolution faiblement au niveau des postes de travail d’ouvriers, et de façon plus marquée aux niveaux des techniciens et même cadres, cette progression étant le fait de recrutements externes facilités par l’augmentation des femmes dans les formations initiales correspondantes. En revanche, les flux par promotion interne vers la maîtrise d’encadrement ou technique restent infimes.

Au-delà de ce premier constat général, et à partir de l’exploitation des entretiens, on trouve dans une seconde partie onze monographies synthétiques. Elles décrivent l’évolution des entreprises et de leurs activités ainsi que celle de la place des femmes, et font état de manière centrale de la situation de la mixité professionnelle, de son mode de gestion et de ses représentations.

Une troisième partie est consacrée à un repérage des conditions d’emploi et de travail, à un examen des parcours de formation et d’emploi, ainsi qu’à une analyse des conditions de la conciliation de la vie professionnelle et personnelle et de l’évolution des mentalités quant à la mixité. L’analyse révèle un certain élargissement de l’accès des femmes aux emplois masculins ainsi qu’une indifférenciation marquée des genres lors de l’embauche. En revanche, les promotions restent limitées pour les femmes, ce qui est lié, dans un certain nombre de cas seulement, à l’insuffisance de leur formation professionnelle initiale. La formation professionnelle joue difficilement un rôle de rattrapage dans la mesure où les femmes manquent souvent d’un niveau minimum de formation technique nécessaire pour réussir, ou même entreprendre, des formations certifiantes. Par ailleurs, les femmes considèrent dans l’ensemble que leur salaire est inférieur à celui des hommes.

L’identification d’un certain nombre d’éléments biographiques objectifs, ressortant des entretiens avec une vingtaine d’opératrices et de techniciennes, tels que formations, emplois successifs, événements de la vie personnelle et familiale, et d’éléments subjectifs comme par exemple une tentative de rationalisation de sa trajectoire professionnelle et de vie, l’attirance pour la technique ou le désir de résister à des évolutions « naturelles », conduit à repérer des parcours de formation et d’itinéraires professionnels. Elle permet de proposer une typologie des trajectoires de ces femmes déclinée en quatre parcours : statiques, réactifs, opportunistes et stratégiques.

Par rapport à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, est mise en évidence une certaine maîtrise des temps, contraints, mais articulés. Cette situation ressort des caractéristiques de l’activité féminine en milieu rural, qui s’appuie sur un réseau familial élargi et se trouve facilitée dans l’échantillon par la proximité entre les lieux de résidence et de travail. Mais cette gestion des temps ne permet pas facilement de faire face à des situations telles que la formation hors temps de travail, surtout lorsqu’elle se déroule loin du domicile.

Sur le plan des mentalités, on peut parler d’une manière générale d’une meilleure acceptation de la mixité professionnelle, voire d’une certaine banalisation. Souvent initiée par une action volontariste de la direction pour faire face à des difficultés de recrutement, elle tend à perdurer dans les entreprises enquêtées en dépit des changements de conjoncture et de la dégradation de la situation économique dans le secteur industriel. Mais en matière de gestion des ressources humaines, il subsiste toujours des représentations de qualités spécifiques attribuées aux hommes et aux femmes, qui induisent des modalités particulières d’affectation sur les postes de travail. De même, tout relâchement de l’attention accordée à l’accès et au maintien des femmes dans des emplois traditionnellement masculins laisse planer le risque d’un recul de leur présence dans ces emplois.

Une quatrième partie met en évidence la dynamique de l’accès des femmes à des emplois masculins. Sont ainsi analysées les conditions préalables à l’enclenchement du processus d’accès des femmes à ces postes, qui tiennent à un contexte économique et social général, mais aussi aux caractéristiques de l’activité concernée, favorables ou non à cette féminisation Sont également mis en évidence le poids des décisions stratégiques et de l’engagement des personnes dans le processus de mixisation. Enfin, le rapport distingue les enchaînements favorables au développement de la place des femmes dans des milieux de travail masculins et ceux qui peuvent conduire à un affaiblissement de cette présence ; il met ainsi à jour dans les entreprises une double boucle progressive et régressive de la mixisation, suivant les modalités de l’effort de rationalisation de l’activité, et le contexte de développement ou au contraire de menaces sur leurs activités.

Le rapport se conclut par une mise en perspective , d’une enquête à l’autre , de la question de la mixité professionnelle, qui met en évidence l’esquisse d’un tendance lourde à la féminisation d’emplois dits masculins, et souligne le poids des conditions économiques et de l’engagement des acteurs. Il met enfin en exergue les conditions d’un développement durable de la mixité professionnelle, à savoir la promotion d’une autre conception des ressources humaines, le soutien à la mixisation de l’encadrement, l’accompagnement des changements du marché du travail, la transformation du rapport à la technique et …la poursuite des recherches sur la mixité au travail.