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Salaire minimum interprofessionnel de croissance - rapport 2016

Conformément à la loi du 3 décembre 2008, le nouveau groupe d’experts indépendants nommé en mai 2013 livre ici son analyse du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et son avis sur son évolution.

Plusieurs thèmes ont été abordés dans ce rapport du groupe d'experts sur le SMIC qui répondent à des interrogations soulevées dans des rapports précédents ou lors des entretiens du groupe avec les partenaires sociaux. On en rappelle ici les principaux  enseignements avant d'examiner ce qu'ils impliquent quant aux décisions concernant la fixation du SMIC pour 2017 et de conclure avec quelques remarques sur le fonctionnement du groupe d'experts. Un premier point à souligner est l'intérêt renouvelé que l'on  observe dans plusieurs pays pour les questions de salaire minimum. Ce rapport se penche en particulier sur le cas de l'Allemagne où la commission de revalorisation du salaire minimum a procédé il y a peu à une première évaluation du salaire minimum introduit au 1er janvier 2015 et au Royaume Uni où le National Living Wage a remplacé le National Minimum Wage pour les travailleurs de 25 
ans et plus en date du 1er avril 2016. 

Il est intéressant de voir comment, dans ces deux pays, le salaire minimum est en train de se substituer partiellement à la négociation salariale tout en la complétant, une évolution déjà ancienne en France. L'approche privilégiant la négociation se  retrouve toutefois dans la composition des commissions chargées de piloter les salaires minima au Royaume-Uni comme en Allemagne. Des compositions davantage paritaires, et ne comptant pas seulement des experts, s'accompagnent d'une plus grande marge décisionnelle avec l'absence d'encadrement par une règle d'indexation qui fixe un plancher dans le cas de la France. Un niveau initial plus faible du salaire minimum laisse aussi un espace plus large à la négociation. 

S'agissant de l'Allemagne, il est encore trop tôt pour dresser le bilan de l'impact du salaire minimum sur les salaires et l'emploi et du fonctionnement de la commission mixte de revalorisation. On peut cependant souligner que le désastre que craignaient certains pour l'emploi ne s'est pas matérialisé, ce qui n'exclut pas certains effets négatifs, possiblement dissimulés par un emploi particulièrement dynamique. Il faut aussi souligner qu'en termes relatifs le salaire minimum allemand est notablement inférieur à  son homologue français, quoique cette différence s'amenuise lorsque l'on raisonne en coût du travail plutôt qu'en salaire.

Le National Living Wage au Royaume-Uni marque une inflexion dans la politique britannique de salaire minimum. D'une part, le poids officiellement accordé à l'emploi des travailleurs adultes - au demeurant remarquablement élevé eu égard à la conjoncture - régresse au profit d'autres considérations telles que la productivité ou la relation avec la  protection sociale. D'autre part, le gouvernement fixe un niveau relatif de long terme et demande à la commission responsable de la fixation du salaire minimum (Low Pay Commission) de gérer la transition vers cet objectif. Il est assez remarquable que cet objectif coïncide avec le niveau actuel du SMIC par rapport au salaire médian en France. Il faut noter cependant les références multiples dans le "système" britannique de salaire minimum et notamment la préoccupation majeure pour l'emploi qui gouverne la fixation du salaire minimum applicable aux moins de 25 ans.

Que le gouvernement britannique fixe à présent un objectif pour le National Living Wage de 60% du salaire médian et ne laisse à la Low Pay Commission que la responsabilité de gérer la transition vers cet objectif représente aussi un élément de convergence vois à vis de la pratique française. L'objectif de 60% du salaire médian pourrait en effet constituer une sorte de règle d'indexation comparable à la formule utilisée en France pour fixer un plancher à l'évolution du SMIC. Reste cependant à voir comment cette  indexation sera gérée une fois atteint l'objectif de 60%. 

Le débat britannique qui a conduit au National Living Wage a mis en avant la relation entre salaire minimum et protection sociale. C'est un point sur lequel ce groupe d'experts a beaucoup insisté sans toutefois pouvoir procéder, dans les années précédentes, à une étude approfondie du fait des réformes en cours du système de protection sociale. Le présent rapport a cherché à combler cette lacune en entreprenant une comparaison rigoureuse des effets redistributifs d'une hausse du SMIC et d'une augmentation de la prime d'activité, l'instrument le plus directement destiné à aider les "travailleurs pauvres". 

La comparaison effectuée augmente le revenu disponible total des ménages du même montant, celui qui résulte d'une augmentation de 1% du SMIC. Dans le cas du SMIC, les ménages bénéficiaires sont ceux dont l'un des membres est rémunéré au niveau du SMIC ou à un niveau légèrement supérieur dans la mesure où une hausse du SMIC se propage dégressivement à des salaires légèrement supérieurs. Pour la prime d'activité, les bénéficiaires sont les ménages à revenus modestes, la prime dépendant en même temps des ressources du ménage et du revenu d'activité de ses membres. Ceci implique qu'à montant total égal, la prime d'activité cible plus systématiquement les ménages dont le niveau de vie est le plus faible. Le nombre de bénéficiaires est plus élevé dans le cas de la hausse du SMIC mais le gain moyen de niveau de vie est plus faible. 

Il s'ensuit que, à augmentation totale donnée du revenu disponible des ménages, la pauvreté comme l'inégalité diminuent plus fortement sous l'effet d'une revalorisation de la prime d'activité que sous l'effet d'une hausse du SMIC. Même s'il contribue à moins de pauvreté et moins d'inégalité, ce dernier n'apparaît donc pas comme l'instrument de redistribution le plus efficace, d'autant moins que la simulation analysée dans ce rapport ignore les effets négatifs potentiels d'une hausse du SMIC sur certaines catégories  d'emplois. 

Cette conclusion doit être assortie de deux remarques importantes. En premier lieu, s'agissant de l'inégalité, la conclusion précédente ne vaut que si celle-ci porte sur les niveaux de vie individuels plutôt que sur les rémunérations des salariés, autre  dimension, socialement importante, de l'inégalité. En second lieu, et plus fondamentalement, les simulations entreprises ignorent les coûts des deux mesures qui sont comparées : le financement d'une augmentation de la prime d'activité d'un côté, les effets  d'une hausse de 1% du SMIC sur l'emploi, les prix et les finances publiques de l'autre. La difficulté est qu'évaluer ces coûts, notamment dans le cas de la hausse du SMIC, exige un cadre analytique plus complet mais aussi bien plus complexe que celui utilisé pour réaliser les simulations présentées dans ce rapport. On ne peut que souhaiter qu'un tel cadre soit mis au point pour  affiner la comparaison des propriétés redistributives du SMIC et des instruments de la protection sociale. 

Un autre thème abordé dans le présent rapport, en écho à un rapport précédent, est la question des trajectoires salariales au voisinage du SMIC. La question posée à cet égard était de savoir si ces trajectoires s'étaient déformées sous l'impact de la crise et de la faible conjoncture économique observée depuis 2008 et, plus particulièrement, si le SMIC exerçait plus ou moins d'attraction dans la dynamique des salaires. A court-terme - c'est à dire les six trimestres couverts par les Enquêtes Emploi - on observe  effectivement une très légère détérioration de l'ascension salariale et du maintien en emploi pour les salariés rémunérés au 
SMIC après 2008 par rapport à des niveaux plus élevés de salaire. A un horizon de cinq ans, cependant, les déclarations annuelles de données sociales (DADS) montrent une dynamique salariale extrêmement stable pour les salariés initialement rémunérés au SMIC. Lorsque l'on compare les trajectoires quinquennales débutant dans les années 2007-2009, incluant la crise, et les trajectoires débutant dans les années 1995-2002, les proportions de salariés qui restent au niveau du SMIC ou qui évoluent vers un salaire  supérieur sont sensiblement les mêmes. 

Tout au plus observe-t-on une faible augmentation des trajectoires comportant une sortie transitoire du salariat. Ces observations suggèrent que la crise n'a eu que des effets transitoires sur les trajectoires salariales au voisinage du SMIC, alors que l'on aurait pu craindre une détérioration plus durable de ces dernières. Il est aussi possible que l'absence de modification sensible des probabilités d'ascension salariale sur la période récente résulte de deux facteurs antagonistes : une évolution plus modérée du SMIC que durant la période précédant la crise, ce qui aurait pu contribuer à plus de dispersion, et la crise elle-même qui aurait au contraire pesé sur la mobilité salariale.

Comme ses prédécesseurs, le présent rapport combine des analyses structurelles, dont on vient de rappeler les conclusions, et une réflexion sur la conjoncture économique et l'évolution du SMIC par rapport à celle des salaires moyens. Les points qui se dégagent sont les suivants.

Pour ce qui est de la conjoncture économique et du marché de l'emploi, on constate que l'amélioration observée fin 2015 se confirme en 2016. Le taux de croissance du PIB devrait être de l'ordre de 1,3% en 2016, soit au même niveau qu'en 2015, année de reprise après les très faibles performances de 2012-2014. Le marché de l'emploi évolue de la même façon : l'emploi marchand a progressé en 2015 après les pertes enregistrées les années précédentes. Le progrès s'accélère en 2016. En conséquence, le taux de chômage (au sens du BIT) baisse, passant de 10,5%, point haut observé en 2014 et 2015, à moins de 10% au 3ème trimestre 2016 pour la France entière. La stabilisation que l'on observait l'an dernier s'est transformée en décrue.

La situation reste cependant fragile. D'une part, l'augmentation de l'emploi doit probablement plus aux mesures d'allègement du coût du travail qu'à la conjoncture économique. On ne peut en effet attendre une forte croissance de l'emploi avec des taux de croissance du PIB de l'ordre de 1,3%, qui est aussi le taux actuellement prévu pour 2017. D'autre part, le taux de chômage est encore très au-dessus de ce que l'on peut imaginer être son niveau d'équilibre, ou simplement son niveau moyen d'avant-crise soit environ 8%. On constate aussi que le taux de chômage des jeunes n'a pas encore amorcé sa décrue - il a même augmenté au 3ème trimestre 2016 - et qu'il en est de même du taux de chômage de longue durée, du sous-emploi et de ce qu'il est convenu d'appeler le "halo" du chômage, soit les personnes souhaitant travailler mais non comptabilisées parmi les chômeurs au sens du BIT.

S'agissant de l'évolution des salaires et de la productivité, on constate que l'écart défavorable sur le coût salarial unitaire entre la France et la moyenne européenne tend à se refermer légèrement depuis deux ans. Par rapport à l'Allemagne cependant, l'écart qui s'est creusé dans les années 2000 est encore loin d'être résorbé.

Comme les salaires français ont crû assez lentement au cours des dernières années, l'application stricte de la règle d'indexation du SMIC n'a pas conduit à un écart trop important par rapport au salaire moyen. Depuis le coup de pouce de 2012, qui avait à peu près rétabli la parité entre l'évolution du SMIC et celle du salaire moyen depuis 2008, l'écart a augmenté d'environ 2,5 points.

On aurait pu croire qu'un tel décalage redonnerait une certaine autonomie à la négociation par branche par rapport au SMIC. Or on constate qu'il n'en est rien. La proportion de travailleurs concernés par une augmentation du SMIC se maintient au même niveau depuis plusieurs années et l'articulation entre salaires conventionnels et SMIC est peu modifiée. On peut en conclure, que l'écart par rapport au salaire moyen est encore suffisamment faible pour que le SMIC constitue une référence essentielle de la négociation collective et que le modifier a nécessairement des répercussions sur une bonne partie de l'échelle des salaires.

Au vu de ces considérations, la recommandation de ce groupe d'experts est, encore une fois, la prudence et la modération. Certes, l'écart qui s'est creusé entre le SMIC et la moyenne des salaires pourrait plaider en faveur d'un coup de pouce au-delà de la formule  d'indexation. 

Au vu d'une conjoncture de l'emploi qui reste précaire, d'un taux de chômage toujours très élevé par rapport aux niveaux d'avant-crise et de l'influence apparente du SMIC sur la négociation collective, aller au-delà de la formule légale d'indexation introduirait cependant un risque de déstabilisation à partir d'une situation encore fragile. 

Au terme de son mandat, ce groupe d'experts espère avoir rempli de façon satisfaisante sa mission de conseil, mission qu'il a cherché à remplir de deux façons. Dans une perspective conjoncturelle d'abord, à travers une analyse détaillée de l'évolution de l'économie et du marché de l'emploi, y compris les structures de salaire et l'état de la négociation collective. De ce point de vue, le groupe regrette que la conjoncture économique de ces dernières années n'ait pas permis une progression du SMIC qui aille au-delà de la formule légale d'indexation. Mais ce groupe a également envisagé la question du SMIC dans une perspective structurelle et donc de plus long-terme en s'interrogeant sur le rôle joué par le salaire minimum dans les économies avancées et plus  particulièrement en France. Il a pu répondre à certaines interrogations et lever certains doutes, mais il a également mis en évidence certaines limites de la connaissance économique dans ce domaine. Il est important que cette réflexion se prolonge, mais il n'est pas sûr que la formule actuelle d'un groupe d'experts sans autres ressources que quelques études commissionnées auprès des administrations publiques soit la meilleure. Pouvoir se reposer sur la communauté des chercheurs à travers des contrats de recherche portant sur les questions théoriques et empiriques mises en évidence par les experts améliorerait considérablement la  qualité des recommandations du groupe et la compréhension collective des politiques de salaire minimum. Pouvoir échanger de façon moins contrainte que dans la seule perspective d'une revalorisation du SMIC avec les partenaires sociaux paraît également  souhaitable. Les recommandations sur les revalorisations annuelles du SMIC, mission première du groupe d'experts, auront d'autant plus de pertinence qu'elles s'élaboreront dans un tel cadre.

La Dares est rapporteur du groupe de travail des experts SMIC.

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