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Salaire minimum interprofessionnel de croissance - rapport 2013

Conformément à la loi du 3 décembre 2008, le nouveau groupe d’experts indépendants nommé en mai 2013 livre ici son analyse du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) et son avis sur son évolution.

Au terme de ses premiers travaux, échanges et réflexions, le diagnostic que forme le groupe d'experts peut se résumer de la façon suivante. L'objectif du SMIC est avant tout la protection des salariés dans la mesure où sa première fonction est d'empêcher la fixation de salaires individuels à un niveau jugé socialement insuffisant. Ce faisant, le SMIC participe de la lutte contre l'inégalité et  la pauvreté, sans en être, bien entendu, le seul instrument. Il affecte par ailleurs la négociation collective sur les salaires en fixant implicitement l'échelon minimum des grilles de salaire. Finalement, en se répercutant plus ou moins fortement sur les niveaux de salaire plus élevés, il contribue aussi à l'évolution générale des salaires et, au niveau macroéconomique, il influence l'équilibre du 
marché du travail à travers le côté demande (consommation) et le côté offre de l'économie. En particulier, le risque existe qu'une hausse du SMIC ne se traduise in fine par une baisse de l'emploi et de la compétitivité des entreprises. 

Sur ces divers points, ce rapport apporte des éléments d'actualisation et/ou des approfondissements. 

S'agissant du rôle de protection du SMIC et de l'atténuation des inégalités, on peut noter que, suite aux divers coups de pouce enregistrés depuis 1990  mais surtout à la revalorisation importante liée à l'harmonisation entreprise entre 2002 et 2005 pour gommer les différences de salaire minimum horaire résultant de l'asymétrie de la réduction des temps de travail, le SMIC horaire est aujourd'hui 30 à 40 centimes d'euro (soit à peu près 4%) au-dessus de ce qu'il aurait été avec une indexation complète sur le Salaire  Horaire de Base Ouvrier au cours des 23 dernières années. Il se situe donc très nettement au-dessus de ce qu’aurait induit une
revalorisation du pouvoir d’achat du SMIC selon une stricte application des dispositions légales (50% de la progression du SHBO réel). Il s'ensuit que, dans les dernières statistiques disponibles (2011), l'inégalité observée en bas de la distribution des salaires et mesurée par l'écart à la médiane du premier décile reste inférieure aux chiffres de 2002. On observe par ailleurs que, au vu des évolutions passées, le changement de la règle d'indexation sur les prix décidée par le décret du 7 février 2013 (indice de prix des ménages du 1er quintile de niveaux de vie plutôt que l'indice des prix des ménages urbains dont le chef est employé et ouvrier) 
devrait avoir un léger impact dans la même direction. Finalement, il convient aussi de souligner qu'en termes de comparaison  internationale et exprimé en proportion du salaire médian, le SMIC est aujourd'hui très nettement au-dessus des niveaux constatés dans les autres pays de l'OCDE disposant d'un salaire minimum.

Un effet secondaire d'une hausse du SMIC plus rapide que celle du salaire de base ouvrier (ou encore du salaire de base ouvrier et employé) est le tassement des grilles salariales et la contrainte qu'introduit donc le SMIC dans la négociation collective sur ces   grilles, comme en ont témoigné devant le groupe plusieurs partenaires sociaux. En 2012, les éventails de salaires conventionnels pour les ouvriers et employés étaient encore très comprimés par rapport aux années 2000 et l'on comptait encore près de 20% des branches du secteur général qui n'avaient pas mis en conformité leur pied de grille avec le SMIC en juin 2013. 

S'agissant de la pauvreté, on sait que les derniers chiffres publiés par l'INSEE montrent que la pauvreté monétaire a continué d'augmenter en 2011 par rapport au point bas de 2008. Le niveau du SMIC a, à l'évidence, une certaine influence sur la pauvreté  puisque l'on observe proportionnellement plus de salariés payés au SMIC (ou entre 1 et 1,1 SMIC) dans les deux premier déciles de la distribution des niveaux de vie. Cela étant, la prise en compte des dispositifs de lutte contre la pauvreté que sont le RSA, la PPE ou les aides au logement conduit à relativiser considérablement cette observation. En effet, des simulations sur cas-types suggèrent que, à barèmes constants de ces dispositifs d’assistance, une hausse du SMIC est progressivement gommée au cours du temps par une baisse de ces divers transferts – tout au moins pour les ménages qui y ont recours. L'effet est tel qu'une hausse de 1% du SMIC se traduit par une augmentation d'un ou deux euros seulement du niveau de vie de certains ménages, l'augmentation n'étant sensible que pour des ménages bénéficiant peu de ces transferts (couples biactifs avec deux enfants).

Pour ce qui est de l'emploi, l'effet d'une hausse du salaire minimum dépend avant tout de son importance relative par rapport au salaire médian ou moyen. Le ratio salaire minimum/salaire médian étant relativement élevé en France, les estimations disponibles, aussi imparfaites soient-elles, suggèrent effectivement que son impact direct sur l'emploi est substantiel. Cependant, il faut tenir compte des effets indirects d’une telle hausse. Le groupe d'experts a interrogé des spécialistes de la modélisation  macroéconomique sur ces effets indirects. Ceux-ci passent par deux canaux : d'un côté la hausse du coût du travail, elle-même
renforcée par une certaine diffusion de la hausse du SMIC aux niveaux immédiatement supérieurs de salaire, et de l'autre une hausse du revenu et donc de la consommation des ménages. La résultante de ces effets est complexe dans la mesure où elle dépend elle-même de certaines interventions publiques automatiques comme l'allègement des charges sociales d'une part et la baisse des transferts aux ménages de l'autre. Si une étude plus approfondie de ces divers effets s'avère nécessaire, les études et informations disponibles à l'heure actuelle suggèrent que, au mieux, une hausse du SMIC n'aurait qu'un faible effet négatif sur le volume agrégé d'emploi. Même dans ce cas, cependant, il y a peu de doutes que, toutes choses égales d'ailleurs, l'emploi au niveau du SMIC, soit les 15 % de salariés entre 1 et 1,1 SMIC, diminuerait très sensiblement. 

La conjoncture actuelle ne plaide certainement pas en faveur d'une quelconque prise du risque en matière d'emploi. La reprise de l'économie française reste très fragile et la situation du marché du travail ne semble pas devoir s'améliorer avant un certain temps. Avec une hausse attendue de 0,9% du PIB en 2014, il n'est pas sûr qu'une véritable inversion de tendance sur le front du chômage puisse être envisagée de façon réaliste pour l'année qui vient, hors contrats publics aidés. Dans ces conditions, il serait peu  raisonnable de prendre le risque d'aggraver encore une situation difficile notamment pour les demandeurs d'emploi au
niveau du SMIC. 

Au vu de cette conjoncture et des divers points mentionnés plus haut, il ne semble pas justifié, aujourd'hui, de revaloriser le SMIC au-delà de la règle officielle d'indexation basée sur l'inflation et l'évolution du salaire réel de base ouvrier et employé. C'est la
recommandation de ce groupe d'experts.

En même temps, le groupe veut insister sur le besoin de progresser dans la connaissance des implications économiques et sociales du SMIC, qui reste encore trop approximative sur plusieurs points comme par exemple les implications du SMIC en matière de pauvreté monétaire, les conditions de travail au niveau du SMIC, l'exposition directe (et indirecte à travers leurs intrants) des entreprises au SMIC ou encore les compétences relatives des salariés au niveau du SMIC (à partir de l'enquête sur les compétences des adultes PIAAC). En collaboration avec les services d'étude des administrations concernées, ce groupe a l'ambition de contribuer à un tel progrès à la faveur de ses rapports à venir. 

La Dares est rapporteur du groupe de travail des experts SMIC.

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