Publication

Quels facteurs influencent la capacité des salariés à faire le même travail jusqu’à la retraite ?

En France, en 2019, 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. L’exposition à des risques professionnels – physiques ou psychosociaux –, tout comme un état de santé altéré, vont de pair avec un sentiment accru d'insoutenabillité du travail.

Les métiers les moins qualifiés, au contact du public ou dans le secteur du soin et de l’action sociale, sont considérés par les salariés comme les moins soutenables. Les salariés jugeant leur travail insoutenable ont des carrières plus hachées que les autres et partent à la retraite plus tôt, avec des interruptions, notamment pour des raisons de santé, qui s’amplifient en fin de carrière.

Une organisation du travail qui favorise l’autonomie, la participation des salariés et limite l’intensité du travail tend à rendre celui-ci plus soutenable. Les mobilités, notamment vers le statut d’indépendant, sont également des moyens d’échapper à l’insoutenabilité du travail, mais ces trajectoires sont peu fréquentes, surtout aux âges avancés.

Construction des indicateurs de risques professionnels

Deux indicateurs de risques professionnels, physiques et psychosociaux, sont mobilisés dans cette étude. L’indicateur d’exposition aux risques physiques prend en compte les contraintes posturales et articulaires (port de charge lourde, posture pénible, etc.), les nuisances dans l’environnement de travail (fumées ou poussières, produits dangereux, bruit, saleté, humidité, températures extrêmes, odeurs, etc.) et d’autres contraintes liées à l’environnement de travail (respirer des fumées, poussières, contact avec des produits dangereux, etc.). L’indicateur d’exposition aux facteurs psychosociaux de risque est construit à partir des six dimensions identifiées par le Collège d'expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, à savoir l’intensité du travail et les contraintes de rythmes (travailler sous pression, rythme du travail contraint par la cadence automatique d’une machine, etc.), le manque d’autonomie (ne pas pouvoir faire varier les délais, suivre strictement les consignes, etc.), les exigences émotionnelles (subir des tensions avec le public, devoir cacher ses émotions), l’insécurité socio-économique (craindre pour son emploi pour l’année qui vient, etc.), les conflits de valeur (ne pas faire un travail utile aux autres, faire des choses que l’on désapprouve, etc.) et les rapports sociaux au travail dégradés (ne pas recevoir de l’aide de son supérieur, de ses collègues, etc.).

Pour chacun de ces deux grands groupes de risques, un indicateur sur trois positions est calculé à partir du score obtenu par addition des expositions. Un salarié est faiblement (respectivement moyennement, fortement) exposé à un risque donné (physique ou psychosocial) si son score d’exposition est inférieur au 1er quartile (resp. entre le 1er et le 3e quartile, supérieur au 3e quartile) de la distribution des scores des salariés. Enfin, pour les expositions cumulées aux risques physiques et psychosociaux, un score d’exposition correspondant à la somme des scores sur chaque type de risque est construit. Un salarié faiblement (resp. fortement) exposé à la fois aux risques physiques et psychosociaux aura le score le moins élevé (resp. le plus élevé) et sera donc considéré comme très faiblement (resp. très fortement) exposé aux risques professionnels.

Mesurer l'efficacité des facteurs d’amélioration de la soutenabilité du travail

Quatre ensembles de facteurs d’amélioration de la soutenabilité du travail sont étudiés ici : l’évolution de l’organisation du travail ; les modifications de l’environnement de travail par l’employeur au cours des douze derniers mois et le degré de participation des salariés à ces évolutions ; les dispositifs de prévention des risques ; la mobilité professionnelle.

En partant de l’échantillon des salariés qui déclarent un travail insoutenable à une édition de l’enquête qui a eu lieu trois ans avant (t-3 ans), est calculée la probabilité de déclarer un travail insoutenable à l’édition suivante (t), puis l’influence sur cette probabilité des quatre ensembles de facteurs étudiés. La dimension longitudinale de l’enquête permet ainsi de mesurer les variations de la probabilité de sortir (ou non) d’un travail insoutenable et de connaître les facteurs liés à cette probabilité.

En pratique, une modélisation dite « logistique » est menée. Elle prend comme variable dépendante (i.e. à expliquer) l’indicatrice de travail insoutenable l’année t. Le modèle est estimé sur le champ des salariés qui déclarent lors de leur première interrogation (en 2013 ou 2016) ne pas être capables de faire le même travail jusqu'à la retraite et encore en emploi trois ans plus tard (respectivement en 2016 et 2019), France hors Mayotte. Les variables explicatives comprennent les facteurs d’amélioration de la soutenabilité exposés ci-dessus. Dans la mesure où ils sont potentiellement eux-mêmes corrélés, les variables de chaque ensemble de facteurs sont toutes ajoutées au modèle séparément (exemple : pour les variations d’organisation du travail, l’ensemble des dimensions font partie du modèle). Des variables explicatives cernant les caractéristiques individuelles des salariés (en t-3 ans) sont ajoutées : sexe, âge, profession (en 4 modalités : cadres, professions intermédiaires, employés, ouvriers), secteur d’activité (en 4 modalités : agriculture, industrie, construction, services), diplôme, ancienneté dans l’emploi. Elles permettent de prendre en compte la structure sociodémographique de l’échantillon, dont l’influence sur le caractère soutenable du travail est mise en évidence dans l’étude. Une indicatrice d’année de l’observation permet de tenir compte d’un ensemble de facteurs inobservables et affectant l’ensemble des individus de la même façon : par exemple, la conjoncture économique ou une modification de la législation. Enfin, un effet individuel aléatoire est ajouté, ce qui permet d’isoler les caractéristiques inobservables des individus, constantes dans le temps et non corrélées avec le reste des variables explicatives.