Publication

Revue Travail et Emploi - Varia - n°138 (2014)

Une journée d’étude intitulée « Les restructurations, contestations et expériences », autour de la parution des numéros 137 et 138 de la revue Travail et emploi a été organisée le vendredi 12 décembre 2014, à l’Amphithéâtre Durkheim-Sorbonne, Paris : la rediffusion vidéo de la journée d’étude est accessible ici. Les vidéos et le montage ont été réalisés par Géraldine Berger (Film d’Un Jour).

 

Sommaire

Introduction. Expériences de pertes d’emploi : la crise vue d’en bas

Anne Bory, Sophie Pochic

Manuella Roupnel-Fuentes

Que sont devenu.e.s les 3 000 Moulinex des cinq usines de Basse-Normandie licencié.e.s en septembre 2001 ? Pour répondre à cette question, nous nous appuyons sur les résultats d’une enquête menée par questionnaires auprès de 830 ancien.ne.s salarié.e.s au cours de l’automne 2003 et par entretiens approfondis. Le traitement statistique montre que la structuration de la main-d’œuvre au sein de Moulinex, fortement segmentée selon le sexe, l’âge et la qualification, se retrouve transposée dans les trajectoires ultérieures sur le marché du travail. La mise en regard du passé professionnel avec les situations retrouvées deux ans après la fin de l’emploi fait émerger trois figures typiques de « carrières » de licencié.e.s, allant du rebond difficile des ouvrières non qualifiées à des poursuites de carrière des techniciens diplômés. Cette mise au chômage, massive et localisée dans le cadre d’un large plan de licenciement, prouve aussi la forte influence de la situation géographique et, dans une moindre mesure, de la formation professionnelle. Le rôle du diplôme initial apparaît ambigu : s’il peut permettre aux plus diplômés d’échapper au chômage, de quitter l’entreprise avant que ne survienne le plan social ou de bénéficier plus facilement d’une mesure d’âge, c’est une ressource visiblement moins déterminante pour ceux qui se retrouvent au chômage.

Mots-clés : licenciement, chômage, employabilité, carrière

Redundant employees’ careers. Looking at the professional past to understand what became of Moulinex’s redundant workers

Manuella Roupnel-Fuentes

What happened to the 3 000 Moulinex Normandy five plants employees that were dismissed in September 2001 To answer this question, we use the results of both a survey by questionnaires applied to 830 former employees during the autumn of 2003 and of in-depth interviews. The statistical treatment shows that the structure of the workforce at Moulinex, highly segmented by gender, age and qualification, can be found again in subsequent trajectories on the labor market. The confrontation between the ex-employees’ professional past and their situations two years after the termination of employment brings to the foreground three typical models of redundant employees’ careers : if unqualified women find it hard to bounce back, graduated technicians do not have difficulty finding another job in another firm and go on with their careers. This large-scale redundancy plan engendered massive, local unemployment, thus showing the strong influence of geographical location and, to a lesser extent, of professional training. The role played by the diploma seems ambiguous : if it helps the graduates to escape unemployment because they manage to leave the company before the social plan takes place or because they are more easily eligible for an age measure, it is obviously a less critical resource for those who are unemployed.

Keywords : dismissal, unemployment, employability, career

JEL : G34, J63, M51, L68, J62

Coralie Perez

Depuis les années 1990 et l’avènement d’un régime d’accumulation tiré par la finance, les entreprises sont en proie à des restructurations financières qui déstabilisent les relations d’emploi. Loin d’être réductibles aux licenciements économiques collectifs, les effets des restructurations financières portent aussi sur les conditions et les vécus du travail. À partir d’entretiens conduits avec des salariés ayant connu une rupture de leur contrat de travail (subie ou « choisie ») dans un contexte de restructuration financière, cette contribution met en lumière un vécu partagé du processus qui conduit à la rupture (un travail devenu insoutenable) mais des modalités de rupture (licenciement pour motif économique ou pour motif personnel, démission) qui sont contingentes. Dans ces contextes, la rupture est souvent vécue comme une épreuve susceptible de transformer durablement le rapport au travail et à l’emploi.

Mots-clés : restructuration, corporate governance, fusion-acquisition, licenciement, démission, suppression d’emplois

Destabilizing the steady ones : financial restructuring and unbearable work situations

Coralie Perez

Since the nineties and the apogee of a financial accumulation regime, firms have been experiencing financial restructuring (i.e. mergers and acquisitions) that destabilize the employment relationship. Compulsory redundancies that are usually measured do not capture the whole effect of financial restructuring. Work conditions and job satisfaction are also affected, undermining co-operation and loyalty. Based on interviews with individuals who left their firm (either “voluntarily” or not) in a context of financial restructuring, our paper shows that the experience of an unbearable work situation always precedes job separation. But the mode of separation itself is constructed within a process of disengagement which depends on many factors. At the end, and whatever the subsequent job, job separation in such a context seems to have changed the interviewees’ attitude to work.

Keywords : restructuring, corporate governance, mergers-acquisitions, job separation, voluntary turnover, lay-off

JEL : G34, J28, J63, M51, M54

Lucie Goussard

Cet article étudie la manière dont les salariés vivent l’épreuve d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) présenté comme idéal. S’appuyant sur soixante-dix entretiens réalisés trois ans après la fermeture du site, il montre ce que les restructurations font au travail. En effet, même lorsque tous les salariés sont reclassés, qui plus est dans une entreprise stable située à proximité de leur ancien lieu de travail avec un niveau de rémunération et des acquis sociaux préservés – autrement dit, même lorsque leurs conditions d’emploi ne sont pas fondamentalement altérées –, le travail, lui, est malmené. Certes protégés du chômage, nombre de ces salariés perdent leur intégration à un collectif, leur attachement à une entreprise, leur maîtrise d’un métier et leurs perspectives de carrière. Or, quand le rapport au travail est ainsi dégradé, c’est leur identité sociale et le sens qu’ils donnent à leur existence qui se trouvent à leur tour bouleversés.

Mots-clés : restructuration d’entreprise, reclassement, déracinement, déclassement, carrière

Beyond employment, how can the subjective experience of work be preserved ? Going through an “ideal” corporate restructuring plan

Lucie Goussard

This article examines how workers go through a corporate restructuring that has been presented to them as ideal. Based on seventy interviews conducted three years after the firm closure, it shows what corporate restructuring do to work as a subjective experience. Indeed, even if all the employees have been reclassified in a sustainable company located near their former workplace, the level of their remuneration and social benefits has been maintained, and even if their employment conditions have not fundamentally been altered, they feel their experience of work is being manhandled. Although keeping their employment, employees lose their sense of belonging to a work collective, commitment to their company, the feeling of being good at their jobs and their career prospects. When their relationship to work is thus degraded, their social identity and the meaning they give to their lives are also deeply affected.

Keywords : corporate restructuring, professional redeployment, uprooting, overqualification, career

JEL : G34, J62, L62, J28, M54

Annie Lamanthe

L’article est consacré à la création d’entreprises par d’anciens cadres, ingénieurs et techniciens, principalement issus d’entreprises multinationales de haute technologie. Ces entreprises connaissent des mouvements de restructuration qui se déroulent pratiquement de façon continue et font aujourd’hui partie intégrante de leurs stratégies. Dans ce cadre, les salariés concernés se sont saisi d’une double opportunité  : ils ont quitté les postes qu’ils occupaient dans les marchés internes de ces entreprises en bénéficiant des dispositifs visant à faciliter les départs ; et ils ont créé leur propre entreprise dans l’installation d’équipements en énergie solaire grâce aux perspectives offertes par les problématiques environnementales. Basé sur des recherches portant sur les dynamiques économiques territoriales en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, l’article s’intéresse plus particulièrement aux caractéristiques, facteurs et ressorts des mobilités de ces ex-salariés. Deux profils d’entrepreneurs sont identifiés : les « solaristes » et les « néo-artisans ».

Mots-clés : dynamique économique territoriale, énergie renouvelable, entrepreneuriat, mobilité, restructuration, cadre, ingénieur, technicien

Restructuring industry : former high skilled workers create their own business in renewable energy sector

Annie Lamanthe

The article focuses on highly skilled employees leaving multinational firms to create their own business in the renewable energy sector (mostly in solar energy) in the Provence-Alpes-Côte-d’Azur region in the south of France. They seized both the opportunity of incentives to facilitate leaves offered by firms placed in a context of permanent restructuring and market prospects due to increasing environmental issues in society. Particular attention is paid to the characteristics, the motivations and the context of these former employees’ mobility and the way they lead to two distinct profiles of entrepreneurs.

Keywords : local economic dynamics, entrepreneurship, high skilled worker, mobility, renewable energy, restructuring industry

JEL : G34, J62, Q42, L26, J23

La lutte, et après ? Une association de salariés licenciés, entre mobilisations collectives et action sociale

Olivier Baisnée, Anne Bory, Bérénice Crunel

Cinq ans après la fin d’une lutte collective longue et très médiatisée contre la fermeture d’une usine rurale de connectique du Sud-Ouest de la France, sous-traitante de l’automobile, cet article questionne l’évolution dans le temps du rôle joué par l’association de soutien créée par ses anciens ouvriers. Juste après la fermeture en 2009, le local de cette association devient un lieu où perdure la sociabilité apparue durant la grève et où sont élaborées les actions permettant le maintien de la mobilisation et la conduite de la lutte judiciaire qui s’engage devant le tribunal des prud’hommes. L’association est aussi un lieu d’échanges et de réflexions où, au contact de responsables syndicaux (majoritairement CGT), un certain nombre de salariés non militants entreprennent l’élaboration et l’activation de schèmes politiques autour de la globalisation économique, de la place des ouvriers dans le système productif ou encore des pouvoirs publics nationaux. Cependant, avec l’émergence de nouvelles préoccupations matérielles (chercher un emploi, négocier une mutuelle collective, protéger les plus isolés), les activités de l’association se déplacent progressivement vers l’action sociale, sans pour autant se déconnecter du devenir de l’usine (partiellement réouverte). Les débats liés à cette cohabitation et cette intrication, entre prestation de services individuels et vocation initiale de maintien d’un groupe combatif décidé à lutter pour l’emploi, relèvent tout autant de visions divergentes quant au rôle d’une association d’ex-salariés licenciés que de l’évolution du collectif dans le temps.

Mots-clés : association d’anciens salariés, chômage, mobilisations collectives, action sociale

Fighting, what next ? An organization of laid-off workers, between collective and community action

Olivier Baisnée, Anne Bory, Bérénice Crunel

This article aims at analyzing the evolution of the roles played by a nonprofit organization founded by ex-industry workers, five years after the end of a long and highly mediatized collective mobilization against the closure of the rural plant that employed them in south western France. Right after the closure, the organization’s local became a space to preserve the relationships and sociability built during the mobilization, and to organize the activities that maintained the mobilization despite the closure, specially on its juridical aspects. This organization also appeared as a place for discussion and thinking, where numerous workers built and mobilized political schemes about economic globalization, blue collars’ position in the productive system and national political leaders’ activities. They did so, partly, thanks to their discussions with union leaders. However, new issues have since emerged (looking for new jobs, negotiating a new mutual fund contract, protecting the most isolated ex-workers), and both the organization’s activities and the union leaders’ interventions have mainly focused on social action, although not totally forgetting the plant’s activities. The debates existing about this cohabitation, between a service dedicated to managing individual social situations and the initial goal of maintaining alive the group fighting for its rights and jobs, comes around both the (non)-attribution of a political function to the organization and the evolution of the workers’ group.

Keywords : unemployment, collective action, community action

JEL : G34, M51, J63, L62 ; J52, D71

Pía V. Rius

En Argentine, les transformations de l’économie à l’œuvre depuis les années 1970 modifient la répartition des revenus, qui se dégrade encore durant les années 1990. La crise de la fin 2001, vécue comme hors du commun, témoigne des tensions entre les attentes d’intégration sociale par l’éducation et le travail et la politique néolibérale conduite par les gouvernements en place. À partir d’une analyse ethnographique et documentaire, l’article s’intéresse en particulier aux organisations de desocupados de la banlieue sud de Buenos Aires, à la manière dont les membres de ces collectifs et leurs proches vivent leurs conditions de travailleur et de chômeur. L’analyse des politiques sociales donne à voir une tension entre logique de droit au travail et logique de droit individuel à la protection sociale.

Mots-clés : expérience de chômage, mobilisation sociale, politique sociale, ethnographie, Argentine

Work crisis and the redefinition of social frontiers in Argentine : the mobilizations of the unemployed

Pía V. Rius

The transformations of the Argentinian economy since 1970 have been changing income distribution. Its degradation deepened during the nineties. The 2001 December crisis that was experienced as an outstanding one, jeopardized the expectations of social integration by education and work. On the basis of an ethnographic research and a documentary analysis, the article especially analyses the organizations of desocupados of the southern suburb of Buenos Aires and the way the members of these collectives and their neighbors live their working conditions and unemployment. The analysis of social policies shows a tension between the logic of the right to work and the logic of individual right to social welfare.

Keywords : unemployment experience, social mobilization, social policy, ethnography, Argentina

JEL : J64, J68, J81

Valérie Cohen

À partir d’une enquête de terrain réalisée au sein d’une organisation de lutte contre le chômage, « Agir ensemble contre le chômage » (AC !), cet article analyse le potentiel transformateur et intégrateur de l’action collective des chômeurs, notamment pour ceux qui sont éloignés depuis plusieurs années du marché de l’emploi et ne disposent pas de socialisation militante. Si la participation à un collectif de chômeurs a pu être appréhendée comme un risque d’enfermement dans la condition de chômeur, l’enquête souligne qu’elle peut aussi se présenter comme un moyen de la modifier temporairement, du moins dans certains contextes. Ce processus repose sur des modes d’action qui renversent le stigmate. Il dépend plus largement du travail accompli dans ces univers militants qui s’accompagne de dynamiques de valorisation et d’affirmation de soi, pouvant parfois conduire à un redéploiement des trajectoires sociales et professionnelles.

Mots-clés : chômeur, action collective, mobilisation collective de chômeurs, vécu du chômage, stigmatisation, socialisation militante, travail militant

“Fighting makes you stronger.” Transformative and integrative potentials of collective action of the unemployed

Valérie Cohen

Using data from an ethnographic study carried out in an organization that fights against unemployment, “Acting together against unemployment” (“Agir ensemble contre le chômage”, AC !), this article analyzes the transformative and integrative potentials of collective action of the unemployed, particularly for the long-term unemployed, without any militant socialization. Some studies had previously described the mobilization of the unemployed as a risk of imprisonment in a marginalized status. Conversely, the present study demonstrates that, in certain contexts and under certain conditions, it can be a way to temporarily change this status. These changes are made possible through some actions that reverse the stigma. More widely, militant work enables to grant the unemployed greater social value and to develop their empowerment. These processes may lead to the redeployment of social and professional trajectories.

Keywords : unemployed, collective action, mobilization of unemployed people, unemployment experience, stigmatization, militant work, militant socialization

JEL  : J64, D71

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