Publication

Revue Travail et Emploi - N°102 (2005)

Sommaire

Femmes et performance des entreprises, l’émergence d’une nouvelle problématique

Sophie Landrieux-Kartochian

Cet article présente une revue de la littérature concernant l’influence de la mixité sur la performance des entreprises, question particulièrement étudiée dans les pays anglo-saxons où se développe une argumentation économique, le « business case », ou raison d’affaires, à l’appui des politiques de mixité professionnelle des entreprises. Apparues aux Etats-Unis au début des années 1990, elles se substituent partiellement aux politiques de discrimination positive ou d’égalité des chances et relèvent principalement de la gestion et parfois de la psychologie expérimentale. Ces travaux étudient l’influence de la mixité, mais aussi des politiques actives de féminisation sur différentes dimensions de la performance des entreprises. L’étude souligne les opportunités de l’ approche par le « business case », mais aussi les questions et les risques qu’elle pose quand on la confronte à l’approche française et européenne en matière d’égalité professionnelle.

Women and Company Performance, the Emergence of New Issues

This article reviews the literature concerning the influence of mixed gender at work on company performance. The literature dealt with mostly supports the ‘business case’, which underscores the economic benefits of mixed gender policies at work. Such policies have been practised in France in the wake of diversity policies that appeared in United States at the beginning of the 90’s ; policies which have partially substituted positive discrimination or equal opportunity. The texts discussed in this article deal mainly with management and sometimes with experimental psychology. They study the influence of mixed gender at work as well as the impact of active policies aiming at the introduction of women into work on different aspects of company performance. This paper highlights the contribution and the opportunities of the business case approach as well as the questions raised and possible risks incurred when compared to the French and European approach to equality at work.

Mixité professionnelle et performance des entreprises, un levier pour l’égalité ?

Marie Wierink, Dominique Méda

La mixité professionnelle améliore-t-elle la performance des entreprises ? En France, les responsables d’entreprises en charge de ces questions hésitent à aller aussi loin, mais sont aujourd’hui sensibilisés à l’importance de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ils mènent des initiatives sur le plan des conditions de travail et d’une plus grande ouverture des recrutements aux femmes dans des métiers traditionnellement ou majoritairement masculins et luttent contre le plafond de verre en fixant des critères de détection des hauts potentiels moins défavorables aux femmes. Les résistances sont pourtant encore multiples et un des obstacles les plus forts reste la persistance d’une forte ségrégation dans la formation initiale. Ces politiques d’entreprises sont en outre fragiles face aux à-coups de conjoncture et aux changements de priorité.

Mixed Gender and Company Performance : the Level of Equality Does mixed gender at work improve company performance ?

In France, company authorities treating these questions hesitate to conclude along these lines but they are sensitive to the importance of gender equality at work. They are spearheading initiatives dealing with working conditions and with the opening up of recruitment to women in professional spheres that are traditionally male dominated and they are fighting against the glass ceiling by fixing the detection criteria of the high potential that is least favourable to women. There is still much resistance. One of the biggest obstacles remains the persistence of strong discrimination in initial training. These company policies are, in fact, fragile in the face of conjectural changes and of shifting priorities. New agreements concerning equal gender at work might consolidate these policies and might implement the conditions of their verification.

La construction du plafond de verre : le cas des femmes cadres à potentiel
Jacqueline Laufer

Les processus organisationnels susceptibles d’éclairer la construction du plafond de verre sont étudiés à travers une synthèse de la littérature française et anglo-saxonne, et, empiriquement, à partir d’un échantillon de jeunes cadres à potentiel comme révélateur des facteurs qui jouent contre les femmes diplômées. Des enquêtes de terrain sont conduites notamment auprès d’entreprises de production employant un nombre important d’ingénieurs et présentant donc une probabilité de domination des normes de carrières masculines. Les entreprises font état d’exigences pour les postes cadres à à potentiel qui se conjugent mal avec les contraintes familiales pesant classiquement sur les femmes, comme avec la perception d’elles-mêmes que suscite leur rareté à ces postes. L’auteure fait ressortir la complexité des interactions entre choix organisationnels et stratégies personnelles des femmes.

Glass Ceiling Construction : Female Staff with High Potential
Jacqueline Laufer Organisational processes which highlight glass ceiling construction are studied using a survey of literature in French and English and a sample of young staff with high potential, which reveal factors obstructing the advance of women with diplomas. Fields inquiries are made within four production firms, employing large numbers of engineers, that are likely to have a predominance of male norms values. Firms requirements for staff to fill high potential vacancies are not adapted to family constraints which are traditionally in women hands. The author highlights the complexity of interactions between organisational choices and the personal strategies of women.
Keywords : glass ceiling ; staff with high potential ; gender ; equality gender ; family constraints J.E.L. : J 160, J 700, L 100, L 200, M 500,

Les inégalités de genre dans le passage aux 35 heures, sources et résistances

Hervé Defalvard, Martine Lurol, Evelyne Polshuber

52 entretiens menés auprès des signataires d’accords Aubry I ont été exploités par un logiciel d’analyse de données textuelles. Ils éclairent les effets de la négociation des 35 heures et notamment du mandatement sur les inégalités hommes/femmes. Les signataires mandatées femmes le sont le plus souvent par défaut, à la différence de leurs collègues masculins. Les femmes mandatées cherchent des accords qui permettent de concilier vie professionnelle et la vie privée, à la différences des hommes mandatés qui les cloisonnent. Les délégués syndicaux (DS) adoptent une stratégie proche des mandatées femmes, ce qui renforce les inégalités qui assignent le travail domestique aux femmes. Seuls les jeunes DS hommes cherchent à participer aux soins et à l’éducation des enfants, jetant les prémisses d’une évolution possible.

Gender Inequalities in 35 hour Working week : Sources and Oppositions

During a survey of signatories the Aubry agreements number I, 52 interviews were analysed with a specific program. They highlight the consequences of the negotiations, inside companies, of the application of the 35 hour week : these consequences bare specifically on inequality between men and women due, in part, to the commissioned representatives. Female signatories are most of the time commissioned by default, as opposed to their male colleges, who choose to be representatives. Commissioned women negotiate agreements which favour balancing personal and professional life, while commissioned men give this preoccupation less priority. Union representatives’ strategies are closer to the commissioned women, and thus paradoxically contribute of gender inequalities, leaving domestic tasks and child care to women. While female union representatives are aware of the equality issues, but only the young male union representatives, intending to participate in childcare, can contribute to a positive evolution.

Conciliation, les leçons des enquêtes auprès des ménages

Hélène Garner, Dominique Méda, Claudia Sénik

Le travail et la famille ne sont pas seulement deux « valeurs » ou deux domaines importants qui constituent à des degrés divers l’identité des personnes, mais aussi et surtout deux « activités », fortement consommatrices de temps et entre les quantités desquelles les individus - et notamment les femmes, étant donné l’état actuel de la répartition des charges domestiques et familiales - sont contraints d’arbitrer. Particulièrement vive pour les femmes, cette concurrence dont les termes sont à la fois temporels et financiers peut se « résoudre » selon plusieurs modalités, parmi lesquelles, le retrait d’activité. L’article analyse les déterminants d’un tel retrait et notamment l’influence des conditions d’emploi. Mener de front vie professionnelle et vie familiale peut au contraire provoquer des difficultés de conciliation, fortement ressenties par les femmes, mais aussi par les hommes. Les rythmes de travail apparaissent là aussi très déterminants dans la perception de difficultés.

Conciliation : The Lessons of Household Studies

Work and family are not only two ‘values’ or two important domains which constitute to varying degrees the identity of individuals, but also and especially two ‘activities’ that take up much time. Individuals (particularly women, given the present repartition of domestic and family tasks) are forced to arbitrate between these two activities. This competition, which is at the same time temporal and financial, can be ‘resolved’ in diverse ways including the decision to stop working. This article analyses the determining factors of such a decision, in particular, the condition of work. Managing work and family life can cause difficulties deeply felt by women as well as by men. Work rhythm appears strongly bound up with the perception of such difficulties.

L’étude statistique des liens entre marché du travail et vie familiale : comment aller plus loin ?

Monique Meron

Les sphères professionnelle et domestique ne sont pas vécues comme des mondes étanches, pourtant, les liens entre environnement économique et démographie ne sont pas suffisamment analysés. Comment les mécanismes d’arbitrages au sein des familles sont-ils influencés par l’environnement socio-économique des personnes ? A l’inverse, dans quelle mesure les politiques de gestion de la main-d’œuvre des entreprises s’adaptent-elles en fonction des positions familiales de leurs salarié(e)s ? L’articulation et les interactions entre contextes, activités et comportements familiaux des hommes et des femmes suscitent des interrogations qui demandent des analyses approfondies ; celles-ci appellent à modifier les procédures en vigueur, pour rassembler des données relevant habituellement de domaines qui se rencontrent peu.

Statistic Links between Labour Market and Family Life : Prospects for Improvement

Professional and household areas are not experienced as distinct. However, connections between the economic sphere and demography have not been yet sufficiently analysed. How is family decision making dependant on social and economic factors ? On the other hand, to what extent do company policies adapt to the family situation of their employees ? The interactions of contexts, activities and the family behaviour of men and women raise questions which demand deeper analysis. These questions suggest the need to modify methods in order to bring together data not usually associated.

Les choix relatifs au travail dans la famille : la modélisation économique des décisions

Catherine Sofer

L’article porte sur l’analyse du fonctionnement des ménages, des prises de décisions, des comportements de consommation et d’offre de travail au sein de la famille. Il retient un cadre d’analyse propre aux modèles microéconomiques (hypothèse de rationalité des agents, arbitrages travail/loisirs) et vise à mieux comprendre la « règle du partage » qui détermine le pouvoir de négociation de chaque conjoint. A la fois empirique et théorique, il sollicite les données du British Houseold Panel Survey et de la dernière enquête « Emploi du temps » de l’INSEE. La référence à de nombreux travaux de recherche en cours et à différents modèles dits « collectifs », tente d’apporter l’éclairage des modèles économiques à la question de l’égalité.

Choices Concerning Labour in Families

This issue concerns the analysis of the household structure, of decision making, of consumer behaviour and the supply of labour within family. It uses an analytical framework found in micro-economic models (hypothesis of agent rationality, labour and leisure arbitration) and attempt to understand ‘the sharing rule’ which determines the negotiation power between of husband and wife. Both empirical and theoretical, it uses the data of British Household Panel Survey and of the last INSEE’s inquiry “Allotment of time”. A large number of ongoing research studies with and different ‘collective’ models attempt to elucidate economic models and questions of equality.

Les formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne

Edward Lorenz, Antoine Valeyre

La troisième enquête européenne sur les conditions de travail, menée en 2000 dans les quinze États membres de l’U.E., permet de réaliser une comparaison systématique de l’adoption de nouvelles formes d’organisation au niveau européen. Une typologie des principales formes d’organisation du travail des salariés distingue les formes « apprenantes », en lean production, tayloriennes et de structure simple. Ces formes d’organisation du travail varient selon les caractéristiques économiques et socioprofessionnelles des emplois. L’article examine les différences nationales qu’elles affichent, puis dans quelle mesure elles sont liées aux modes de gestion des ressources humaines. La conclusion s’interroge sur les enjeux de politiques publiques qui découlent de la pluralité des nouvelles formes d’organisation du travail dans ces pays.

Forms of Work Organisation in the Countries of the European Union

Drawing on the results of the third European Survey on Working Conditions undertaken in the fifteen member countries of the European Union in 2000, this paper offers one of the first systematic comparisons of the adoption of new organisation forms across Europe. The first section presents a four-way typology of forms of work organisation for salaried employees labelled the ‘learning’, ‘lean’, ‘taylorist’, and ‘simple’ forms. The second section considers to what extent the relative importance of the different forms of work organisation varies according to sector, establishment size and occupational category. The third section examines the national differences in the adoption of the four forms of work organisation. The fourth section takes up the issue of HRM complementarities by examining the relation between forms of work organisation and the use of policies around training, tenure, pay and employee representation. The concluding section explores the policy implications resulting from the diversity of new forms of work organisation in the member countries of the European Union.

Politiques en faveur des seniors : quelles réformes ? comparaison Allemagne, France, Royaume-Uni, Suède

Pierre Courtioux, Christine Erhel

Sous l’impulsion européenne depuis la fin des années quatre-vingt dix, les pays européens mettent en place des politiques visant à relever le taux d’emploi des seniors. Malgré cette inspiration commune, les politiques nationales restent hétérogènes, car liées aux systèmes nationaux d’emploi et de protection sociale ; entre logique libérale (Royaume-Unis) et logique universaliste (Suède), les cas allemands et français montrent l’importance des effets de système des institutions (concurrence et substitution des dispositifs). Les auteurs détaillent les réformes menées depuis quinze ans par la France, la Suède, l’Allemagne et le Royaume-Uni, puis les analysent au crible de deux approches institutionnalistes : une approche en terme de justice locale qui éclaire les différentes dimensions des choix publics, puis une approche par l’analyse du changement institutionnel.

Policy for Seniors : Which reforms are most effective ? A Comparative View of Germany, France, the UK and Sweeden

Under the impulse of the EU since the 1980s, European states have implemented policies which attempt to raise the level of employment among seniors. Despite the common gaol, national policies remain heterogeneous, as they are linked to existing systems of employment and of social protection. Policies range from those inspired by a liberal logic (the UK) to those of a universalistic logic (Sweden). Germany and France demonstrate the importance of the effect of institutional systems (competition and the substitution of mechanisms). The authors give details of the reforms carried out by France, Sweden, Germany and the UK, analysing very closely the two institutionalist approaches : the first of these in terms of local justice, which highlights the different dimensions of public policy choices, the second approach functions with the analysis of institutional change.

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